Le slashing : glamourisation de la précarité

Le slashing : encore un nouvel anglicisme « à la mode ». La première fois que j’ai entendu parler de slashing, ce n’est pas lors de la vague d’indignation (justifiée) que le terme à provoquée récemment sur twitter, mais bien avant. C’était il y a environ six mois de cela, pendant un événement de développement personnel dans le milieu bien particulier de l’entrepreneuriat. L’intervenant nous avait introduit la dite notion, sans que cela n’ai réellement choqué le public.


Mais alors, qu’est ce que le slashing exactement ?

Ce mot barbare désigne tout simplement le fait de cumuler plusieurs emplois ou activités. Par exemple : donner des cours particuliers le soir, tout en effectuant des heures de ménage. On appelle alors ces personnes des « slashers » . CertainEs vont même jusqu’à cumuler plus de trois emplois.

Une petite variante est à noter : le terme slashing peut également être utilisé pour désigner des personnes qui changent très souvent d’emploi, sans forcement les cumuler (le cumul d’emploi étant l’usage le plus courant du mot).


En quoi la notion de slashing pose-t-elle problème ?

Mais alors, quel est le problème avec le slashing ? Après tout, beaucoup de personnes font ce choix pour arrondir les fins de mois, ou pour ne plus s’ennuyer avec un seul travail répétitif… Hum, personnellement je ne suis pas du tout d’accord avec cela.

Chaque fois que j’ai vu le thème du slashing être abordé, que ce soit dans les média ou des ateliers, l’angle était toujours très « glamour » et romancé. Le slashing est très souvent présenté comme une nouvelle tendance, comme le dernier anglicisme en –ing à la mode, parfois même associé à « la nouvelle manière de réussir sa vie » comme dans un article du site Qapa, qui cite le sociologue Jean Viard :

“ Aujourd’hui, réussir sa vie ne signifie plus une carrière accomplie mais plutôt de multiplier les opportunités.

Jean Viard

Ce que l’on oublie souvent lorsque l’on parle de slashing, c’est que les fameux et fameuses « slashers » n’ont souvent pas d’autre choix que de cumuler des emplois précaires pour s’en sortir financièrement. Dans les média, on nous présente des athlètes de haut niveau qui ont aussi une activité (souvent d’élite) comme Teddy Riner, ou des personnalités politiques dont on compare le cumul de mandats à du slashing. Mais ces personnes sont-elles représentatives de la réalité de terrain ? Certainement pas.

Multiplier les opportunités ?

Peut-on vraiment dire que les slashers de base, celles et ceux qui cumulent les emplois précaires multiplient les opportunités ? Quel ravissement, ces fabuleuses opportunités de caissièrE, de garde d’enfant, d’heure de ménage ou que sais-je encore ! Peut-on vraiment parler d’opportunités de vie telles qu’elles sont décrites par les média ? Ces derniers ont l’air de dire que cumuler les emplois favorise les chances d’en trouver un autre encore mieux, et donc de s’élever socialement. Mais les emplois précaires précédemment cités sont-ils vraiment ceux qui apportent ces chances ?

Proud to be a slasher ?

Je vous parlais tout à l’heure de cet atelier de développement personnel où j’avais entendu parler de slashing pour la première fois. A la fin de la présentation de notre intervenant, le public a commencé à échanger et ce terme de slashing est pas mal revenu dans les conversations.

Tout le monde était assez refait d’avoir découvert un nouveau mot anglais qui les caractérise, comme si c’était hype, mais semblait aussi oublier à quel point vivre dans cette situation est difficile. Peut-être que dans le domaine de l’entrepreneuriat personne n’a vraiment à coeur d’avouer la galère vécue au quotidien.

Entre le lancement de notre activité indépendante (qui ne rapporte donc pas grand chose au début) que l’on doit conjuguer avec d’autres sources de revenus, à quel moment on imagine que c’est une partie de plaisir ?

J’ose le dire : je ne suis pas fière d’être une slasheuse, car c’est synonyme de galère. Celui ou celle qui prétend le contraire est juste en train de vous mentir pour faire bonne figure (comme beaucoup de personne de la Start-up Nation, milieu ou il est de bon ton de feindre une happy face et un bagou en toutes circonstances).


« Et si on jouait au pauvre pour voir ce que ça fait ? »

On touche enfin au vrai problème : le slashing n’est pas une tendance, ni un nouveau truc à la mode que les gens font par « plaisir de travailler ». C’est un bail de pauvres, que tous les pauvres font depuis toujours car il n’y a pas d’autre solution pour s’en sortir financièrement.

Quand le véritable problème est l’ennui au travail, on ne cherche pas un autre travail en plus du premier. On exerce plutôt ses passions, on s’amuse, on sort, on fait des activités qui nous plaisent.

Mais pour cela, il faut en avoir les moyens, ce qui n’est pas le cas de la personne qui « slashent ». Et si nous n’avons pas les moyens financiers pour profiter de la vie en dehors de ce travail qui nous ennuie tant, c’est que le problème initial n’est pas l’ennui, mais bien la précarité.

J’ai l’impression que l’on glamourise de plus en plus la situation du pauvre pour en faire quelque chose de désirable, de limite amusant pour mettre un peu de piment dans sa vie. Glamouriser les pauvres peut aussi endormir les consciences : on les flatte, on fait comme si leurs vies et leurs galères quotidiennes étaient « hypes » et intéressantes.

On leur fait ainsi miroiter l’illusion que leurs problèmes sont les problèmes de toute la population peu importe la classe sociale, ce qui a pour effet insidieux de calmer les envies de révolution et de changement. Il n’y a pourtant qu’à écouter le dédain et le mépris de Manu à chacun de ses discours pour mesurer à quel point cet « intérêt » n’en a que le nom…

Ça me fait beaucoup penser au « batch cooking » (2), cette « nouvelle tendance à la mode » de cuisiner une seule fois le week-end en grosse quantité pour manger toute la semaine, emmener sa gamelle au boulot, économiser les repas etc.

Réveillez-vous là, les pauvres font ça depuis toujours ! Ce n’est ni une partie de plaisir, ni un choix : simplement des stratégies d’adaptation que les personnes pauvres mettent en place au quotidien car c’est la seule solution pour s’en sortir.


Sources :


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