Le choix des mots dans la lutte antispéciste – Réflexion #1

Dans mon dernier article (une délicieuse recette de fondant au chocolat végan), je vous disais vouloir aborder des thèmes un peu plus légers qu’à l’accoutumé, en l’occurrence la cuisine. Pour continuer dans les montagnes russes émotionnelles, aujourd’hui nous allons parler holocauste, esclavage, exploitation, viol et mise à mort ! Alors, content.e ?

Plus consciencieusement, et n’allez surtout pas croire que je dénigre la gravité et le sérieux de ces sujets par de l’humour douteux, je souhaite aujourd’hui vous parler de l’importance du choix de nos mots, en tant que militant.es et activistes antispécistes.

Ce billet (comme tous les posts estampillés « réflexion« ) n’a pas vocation à dispenser une vérité absolue et établie, mais plutôt d’apporter des pistes et d’ouvrir un débat, qui je l’espère se poursuivra en commentaire.

Le poids des mots

C’est loin d’être une nouveauté : il est courant d’entendre des véganes, militant.e.s ou activistes antispécistes comparer certains points de l’exploitation animale avec l’exploitation humaine. Parmi les plus courants, nous pouvons citer les comparatifs entre le viol et l’insémination forcée des vaches « laitières », les parallèles entre l’esclavage et les numéros de cirques avec animaux ou plus généralement, l’utilisation du terme holocauste en référence à l’élevage, de la naissance forcée de l’animal à sa mise à mort précoce.

Les mécanismes oppressifs

Cher.e végan.e, militant.e, activiste, laisse moi commencer par te dire que tu as raison ! Selon moi, il peut être intelligent en certaines circonstances de faire des ponts entre l’exploitation animale et les luttes sociales humaines. Cela peut s’avérer extrêmement efficace pour mettre en évidence les mécanismes oppressifs sous-jacents de l’exploitation animale.

Cela peut aussi être très utile quand on souhaite démontrer à quel point l’oppression que subissent les animaux est invisibilisée et banalisée. Les mécanismes oppressifs qui sous-tendent cette violence inouïe semblent même « normaux » pour les néophytes (alors que ces mêmes mécanismes sont jugés « intolérables » lorsque ce sont des êtres humain.e.s qui en sont victimes).

Les comparaisons incomprises

Il est important de comprendre que comparer les éléments A et B ne signifie pas pour autant qu’ils sont en tout point identiques. Une comparaison n’a pas pour but de montrer que A est le reflet de B, mais peut tout aussi bien extraire une partie de A et une partie de B afin de les mettre en relief. Une gifle et un viol ont pour point commun d’être des agressions, pourtant personne ne prétend que ce sont deux choses identiques. Une comparaison n’est donc, selon moi, pas systématiquement synonyme d’équivalence.

Malheureusement, ce formidable outil explicatif est à double tranchant. On nous reproche souvent ces comparaisons car pour le public non-averti, le comparant et le comparé sont tout bonnement incomparables : l’un concerne des êtres humain.e.s et l’autre de simples animaux.

Dans notre monde spéciste et pour la majorité de nos homologues sapiens, animaux et humain.e.s ne méritent pas d’être traité.e.s selon le même système de valeurs morales. Certain.e.s vont même jusqu’à penser qu’en créant ces ponts, pourtant dans un seul but explicatif, nous rabaissons l’humain.e au même niveau que les animaux.

Des mots forts pour faire réagir

J’entends tout à fait la nécessité de placer des mots justes sur ce que vivent au quotidien les millions d’animaux tués. J’entends tout à fait que placer ces mots justes et forts peut produire un électrochoc chez l’interlocuteur.ice. J’entends tout à fait qu’il est juste d’employer le terme holocauste. Il est vrai que sa définition pure et dure n’indique à aucun moment qu’un holocauste désigne un massacre humain (à moins qu’il n’ai un H majuscule). Tout cela est vrai, alors je le répète, vous avez raison.

Il faut pourtant que nous nous rendions à l’évidence. La plupart des personnes non-sensibilisées à la lutte antispéciste ne sont psychologiquement pas prêts à entendre que l’exploitation humaine et animale sont régies par les mêmes ficelles. Encore moins d’entendre des termes si forts utilisés pour décrire la souffrance animale.

Même si ces dernières sont régies par les mêmes schémas de domination et d’asservissement. Même si nous ne souhaitons à aucun moment rabaisser l’humain.e, seulement élever notre niveau d’empathie. Même si personne ne prétend que l’exploitation animale et humaine sont égales, c’est obligatoirement l’interprétation qui en sera faite à cause de la réactance du public.

Faire ces comparaisons posent donc bel et bien des problèmes, et cela bien au-delà de la classique incompréhension. En réalité, cela dépend aussi de votre but. Souhaitez-vous convaincre, ou simplement choquer ? Sensibiliser le public est-il votre but ? Et si oui, voici pour vous la question à 1 million : préférez-vous avoir raison ou atteindre votre but ?

Derrière les mots se cachent des maux

Il faut garder à l’esprit que chaque mot ne peut être dissocié de la ou des émotions qui lui sont rattachées. Qui plus est lorsque l’on parle de sujet aussi graves que l’exploitation sous toutes ses formes, le viol ou l’holocauste.

On ne peut jamais reprocher à une personne de faire ressortir son vécu émotionnel. J’ai personnellement du mal à en vouloir à une victime de viol d’être choquée par la comparaison entre viol et insémination forcée. On ne peut pas demander aux autres de faire preuve d’empathie pour les animaux si nous sommes nous-mêmes incapables d’être empathique envers leur vécu.

De nos jours, les visions du viol, de l’esclavage ou de ce qu’est un holocauste sont liés à des constructions émotionnelles très fortes, et cela même pour les personnes qui n’en sont pas directement victimes. Ces constructions représentent pour beaucoup d’entre nous le paroxysme de la souffrance humaine. Elles prennent même un caractère intouchable, interdisant d’office toute remise en question (et c’est une chose louable). Compte tenu de tout cela, je ne vois pas comment les ponts entre souffrance animale et humaine pourraient être bien reçus.

Le seul cas où la comparaison pourrait être efficace (et par conséquent le seul cas où il serait intelligent de la faire) est celui où l’interlocuteur.ice est capable de prendre suffisamment de recul. La personne doit être capable de comprendre que vous ne sous-entendez pas que les exploitations animales et humaines sont égales, mais qu’elles reposent bien sur les mêmes mécanismes oppressifs. Je pense que c’est une bonne manière d’amener les personnes à réaliser que l’exploitation animale est tout aussi arbitraire, culturelle et injustifiable que le sont le viol, le meurtre ou l’holocauste.

Cela sous-entend une sensibilisation préalable, ou un dialogue déjà bien engagé avec une personne réellement bienveillante et ouverte, capable d’esprit critique et de déconstruction des normes sociales.

Convergence et appropriation des luttes

Se pose ensuite le problème de l’appropriation des luttes, mais surtout de l’instrumentalisation de la souffrance d’autres victimes pour la mettre au service de notre cause. En faisant ces comparaisons, les personnes s’approprient souvent le vécu et les souffrances d’autres personnes. N’étant pas directement concerné.e, cela sous-entend que ce vécu et ces souffrances ne sont peut-être pas toujours comprises et mesurées.

Le livre de Charles Patterson, Un Éternel Treblinka, est cité à tout va pour justifier la comparaison entre élevage et holocauste. Il est tout de même bon de rappeler que les propos tenus dans cet ouvrage n’engagent que son auteur et qu’ils ne sont pas représentatifs de la pensée de toutes les personnes déportées. Si une victime de l’Holocauste fait le parallèle entre élevage et camp de la mort, on ne peut en aucun cas généraliser sa parole à toutes les victimes, et encore moins se réapproprier son discours ni instrumentaliser la souffrance d’autrui.

Glissement de débat

Tous les points que j’ai abordés plus haut m’amènent naturellement à ce qui est, pour moi, la plus grosse faiblesse de ces comparaisons entre exploitation humaine et animale : le glissement du débat. Rien n’est plus efficace qu’un exemple pour vous faire passer mon message :

Dans ce débat de l’émission C politique, Tiphaine Lagarde expose avec brio les fondements de l’antispécisme suite à un court reportage portant sur une des actions de son association, 269 Libération Animale. Ne trouvez-vous pas dommage que ce débat ai davantage porté sur la justification de qualifier l’exploitation animale d’holocauste, plutôt que sur l’exploitation animale elle-même ?

Plutôt que de se concentrer sur le réel problème, le débat est déplacé sur une masturbation technique, sur une légitimité à comparer deux choses entre elles. C’est du pain béni pour nos opposant.e.s, l’occasion rêvée d’invisibiliser une nouvelle fois l’horreur vécue par les animaux, au profit de l’idéologie spéciste.

Trouvez-vous vraiment utile et productif de comparer exploitation animale et humaine ? Pensez-vous que cela vaut le coup une fois que l’on prend en compte les points positifs et négatifs que cela apporte ?


Merci de m’avoir lue jusqu’ici, j’espère sincèrement que ce sujet vous a intéressé.e et que le débat se poursuivra en commentaire.

Encore une fois, tous les posts de la catégorie réflexion n’ont pas vocation à apporter une réponse toute faite. Je suis moi-même très partagée sur ce sujet, et n’ai donc pas d’avis tranché. Si vous souhaitez réagir à ce post, je vous lierai avec grand plaisir, mais vous prie avant tout de rester bienveillant.e et non-oppressifs dans vos échanges.

2 commentaires Ajouter un commentaire

  1. . dit :

    J’en pense que pendant que tu te branle sur des termes bah des zoonimaux meurent. Agis au lieu de parler, fais quelque chose pour eux. Ça sert à rien de réfléchir il faut agir ça sert à rien de se prendre la tête avec ça car les animaux s’en foute.

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    1. 3615panda dit :

      C’est dommage car tu ne réponds pas à la question. Je me demande même si tu as vraiment l’article dans son intégralité. Je suis tout à fait consciente de ce que vivent les animaux (sinon je ne serais pas activiste…) et tu fais de pures suppositions. Qu’est ce qui te fais dire que je n’agis pas ? Que je ne fais que parler ? Tu n’en sais rien. Et moi non plus, je ne sais pas quelle est ton implication dans la cause animale, alors je ne me permettrai pas de te juger.
      Dire « ça ne sert à rien de réfléchir » est très grave. Sans réflexion et sans remise en question, la cause est morte et enterrée.

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